Dossier 137 : Léa Drucker dénonce la corruption policière dans les foyers des gilets jaunes

Dossier 137 : Léa Drucker dénonce la corruption policière dans les foyers des gilets jaunes

Actualités

nov. 20 2025

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Le 20 novembre 2025, à 11h53 UTC, le film Dossier 137 a fait entrer la salle de projection de la Cannes Film Festival dans un silence pesant. Pas de standing ovation immédiate. Pas de sourires. Juste des regards baissés, des respirations retenues. Ce n’était pas un film. C’était un miroir brisé qu’on venait de projeter sur la société française. Réalisé par Dominik Moll, coécrit avec son fidèle collaborateur Gilles Marchand, et porté par une performance à couper le souffle de Léa Drucker, ce thriller institutionnel plonge dans les entrailles de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) au cœur des manifestations des gilets jaunes — une période où la France a vu ses propres forces de l’ordre devenir, pour certains, des symboles de répression.

Un huis clos policier dans les ruines de la confiance

L’histoire suit Stéphanie, une enquêtrice de l’IGPN, chargée d’éclaircir un cas particulièrement sombre : le 16 décembre 2018, lors d’une manifestation à Paris, un tir de lanceur de balles de défense (LBD) a frappé Guillaume, un jeune homme de 20 ans, lui fracturant le crâne et provoquant des lésions cérébrales irréversibles. La scène, reconstituée avec une précision chirurgicale, s’appuie sur des images d’archives réelles — des vidéos prises par des manifestants, des photos de blessés, des témoignages recueillis sur le terrain. Rien n’est inventé. Rien n’est embellie. Ce qui frappe, c’est l’effrayante banalité du geste. Un officier, masqué, un geste mécanique. Un tir. Un corps qui tombe. Et puis, le silence.

Le poids de l’institution

Ce n’est pas le coupable qu’on cherche. C’est la vérité. Et la vérité, ici, est un mur. Stéphanie, incarnée avec une retenue presque douloureuse par Léa Drucker, n’est pas une héroïne. Elle est une fonctionnaire. Une femme fatiguée, divorcée, dont le fils lui dit : « Tes parents, ils sont dans la police ? Mais tout le monde les déteste. » Elle n’a pas de révolte dans les yeux. Elle a de la peine. Et cette peine, elle la porte en silence, en suivant les dossiers, en écoutant les témoins qui refusent de parler, en affrontant ses supérieurs qui lui disent : « Vous savez que ça ne changera rien. »

C’est là que le film devient plus qu’un polar. Il devient un cri. L’IGPN, censée contrôler les abus, devient elle-même complice. Les dossiers disparaissent. Les témoins sont intimidés. Les rapports sont réécrits. Et quand Stéphanie tente de pousser l’enquête, elle se retrouve seule — entre son ex-mari, qui la traite de traîtresse, sa nouvelle compagne, qui la hait, et son propre fils, qui refuse de la regarder dans les yeux.

Le cinéma comme acte d’accusation

Moll ne cherche pas à faire du sensationnalisme. Son style est froid, presque documentaire. Pas de musique dramatique. Pas de plans symétriques. Juste des couloirs d’administration, des salles d’interrogatoire aux murs crasseux, des visages épuisés. La caméra ne juge pas. Elle observe. Et c’est précisément ce qui rend le film si puissant. On ne voit pas les méchants. On voit le système. Comme le résume le dossier officiel du Festival de Cannes 2025 : « Les mauvaises pommes ne naissent que dans un arbre pourri. »

Le film a reçu des critiques contrastées, mais toutes convergent sur un point : Léa Drucker est exceptionnelle. Screen Daily la qualifie de « performance magnifique d’une fonctionnaire déterminée à trouver les policiers responsables ». Cineuropa souligne la « pression dans ses yeux fatigués ». Même les critiques moins enthousiastes — comme le 3/5 de Rotten Tomatoes — reconnaissent que le film « pose les bonnes questions, même s’il ne donne pas de réponses ».

Un film qui résonne au-delà des frontières

Le 15 mai 2025, Film Movement a acquis les droits de distribution en Amérique du Nord. Une décision rare pour un film français d’auteur sur la police. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas un film « français ». C’est un film universel. La violence policière, la culture du silence, la défiance envers les institutions — ce sont des thèmes qui résonnent à Minneapolis, à Santiago, à Hong Kong. Et en France, où 147 personnes ont été blessées par des LBD pendant les gilets jaunes — dont 14 avec des lésions oculaires irréversibles — le film tombe comme une pierre dans l’eau calme d’un déni collectif.

Un fait troublant : l’un des acteurs secondaires du film, Guslagie Malanda, n’a pas pu marcher sur le tapis rouge à Cannes. Accusé de violences sexuelles, son nom a été retiré des communiqués. Une ironie amère. Dans un film sur l’institution qui protège ses propres coupables, le système s’applique à lui-même. Et personne ne dit mot.

La question qui reste

À la fin du film, Stéphanie pose un dossier sur son bureau. Elle le referme. Elle ne sait pas si elle a gagné. Elle ne sait pas si Guillaume va un jour se souvenir de son prénom. Elle ne sait pas si quelqu’un sera puni. Ce qu’elle sait, c’est qu’elle a fait son travail. Et c’est peut-être là le plus grand désespoir : quand le devoir n’apporte pas de justice, mais seulement la conscience d’avoir vu la vérité.

Foire aux questions

Pourquoi Dossier 137 est-il différent des autres films sur la police ?

Contrairement aux films qui mettent en scène un policier corrompu ou un héros solitaire, Dossier 137 montre que la corruption n’est pas individuelle : elle est systémique. L’IGPN, censée enquêter sur les abus, devient un organe de dissimulation. Le film ne cherche pas un coupable, mais un mécanisme. Et c’est ce qui le rend plus effrayant.

Comment le film utilise-t-il les archives des gilets jaunes ?

Les images d’archives, notamment des LBD tirés à bout portant sur des manifestants désarmés, sont intégrées sans filtre. Elles ne sont pas commentées. Elles sont simplement projetées. Ce choix renforce la crédibilité du récit et rappelle que ces événements ont réellement eu lieu — et que beaucoup de victimes n’ont jamais obtenu de reconnaissance officielle.

Quel est le rôle de Léa Drucker dans la réussite du film ?

Léa Drucker incarne une femme qui ne crie pas, mais qui se décompose lentement. Ses silences, ses regards fuyants, ses mains qui tremblent en tenant un dossier — tout transmet la pression morale. Elle ne joue pas une héroïne : elle joue une fonctionnaire qui réalise, trop tard, que son métier la rend complice. C’est une performance d’une rare intensité psychologique.

Le film critique-t-il la police en général ?

Non. Il critique l’institution. Le film montre des policiers ordinaires, parfois courageux, qui obéissent à des ordres. Le problème n’est pas les individus, mais la culture du secret, la hiérarchie qui protège, et les rapports internes qui effacent les fautes. C’est ce que signifie la phrase : « Les mauvaises pommes naissent dans un arbre pourri. »

Quel impact peut avoir ce film en France ?

Il pourrait relancer le débat sur la réforme de l’IGPN, dont les pouvoirs sont encore limités. Depuis 2018, seuls 3 % des plaintes pour violence policière ont abouti à des sanctions. Dossier 137 ne propose pas de solution, mais il oblige à regarder la réalité en face — et c’est déjà un début.

Pourquoi le film a-t-il été tourné en 2024, alors que les gilets jaunes sont terminés ?

Parce que la mémoire collective s’efface. En 2024, beaucoup de Français avaient oublié les détails des violences. En tournant en 2024, Moll a pu recréer les lieux exacts, retrouver des témoins, et filmer dans des quartiers où les traces des barricades étaient encore visibles. C’était un acte de préservation historique autant qu’un choix artistique.

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