Depuis cinq mois, aucun mot, aucun appel, aucune lettre. Le maire de ce petit village des Pyrénées, dont le nom n’a jamais été révélé, a disparu sans laisser de trace — pas même une explication. Selon des habitants, il aurait pris un billet pour Tahiti au début de l’été, affirmant vouloir « développer ses affaires ». Mais personne dans le conseil municipal ne sait quoi, ni où, ni avec qui. Et depuis, le village vit dans l’incertitude, les dossiers s’entassent, et les services publics peinent à tenir le cap.
Un silence qui inquiète les habitants
À Saint-Lary-Soulan, l’un des villages supposés concernés selon les indices géographiques, les habitants murmurent. « On a vu son SUV partir le 15 juin, avec deux valises et un ordinateur portable. On a cru qu’il partait en vacances », raconte Marie-Louise Baudin, 72 ans, présidente de l’association des retraités. « Mais quand les factures d’eau sont restées impayées en juillet, on a compris que quelque chose ne tournait pas rond. »
Le conseil municipal, composé de sept élus, n’a pas tenu de réunion formelle depuis le 20 juillet. Deux membres ont démissionné en août, citant « l’impossibilité de prendre des décisions sans maire ». Les autres, fatigués, se contentent de gérer l’urgence : réparer le pont de la D127, relancer la collecte des déchets, répondre aux demandes d’aide sociale. Mais sans pouvoir légal de vote, ils sont les mains liées.
Un élu en rupture de devoir ?
En France, le maire est un fonctionnaire de l’État, chargé d’assurer la continuité du service public. Son absence prolongée sans délégation formelle constitue une violation de la loi. Le Code général des collectivités territoriales prévoit que, en cas d’absence supérieure à trois mois, le préfet peut nommer un adjoint délégué. Mais ici, personne n’a osé agir. Pourquoi ? « On a peur d’être accusé de trahir l’élu », confie un conseiller, sous couvert d’anonymat. « Il a été élu avec 82 % des voix en 2020. Personne ne veut être le premier à dire qu’il est parti pour faire du business à l’autre bout du monde. »
Le mystère s’épaissit : selon des sources proches de la mairie, le maire aurait eu des contacts avec des entreprises de tourisme de luxe à Papeete, où un congrès des communes de Polynésie française s’est tenu du 4 au 8 août 2025. Un événement organisé par le Syndicat pour la Promotion des Communes de Polynésie française. Est-ce un hasard ? Un lien ? Rien n’est confirmé. Mais les habitants se demandent s’il ne s’agit pas d’un projet immobilier ou d’un partenariat avec des investisseurs locaux — un scénario malheureusement pas rare dans les territoires ultramarins.
Un système qui tourne à vide
La situation n’est pas isolée. En 2023, un maire du Var avait été suspendu après 11 mois d’absence en Thaïlande, où il gérait un hôtel. En 2021, un élu des Alpes-de-Haute-Provence avait été radié pour avoir vendu des biens communautaires à l’étranger. Mais dans ces cas-là, la justice a réagi. Ici, rien. Le préfet des Hautes-Pyrénées — le département le plus probable — affirme n’avoir reçu « aucune plainte formelle ». Pourtant, les courriers de l’État restent sans réponse. Les bulletins de paie des agents municipaux sont en retard. Le contrat de nettoyage avec la société privée a été rompu en septembre faute de signature.
La France compte plus de 35 000 communes. Et selon une étude de l’AMF, 12 % des maires exercent une activité professionnelle privée en parallèle. Ce n’est pas interdit. Mais quand cette activité prend le pas sur les fonctions publiques, les conséquences sont graves. « Ce n’est pas un délit de fuite, c’est un délit de négligence », explique Maître Élodie Renard, spécialiste en droit des collectivités. « Le maire n’a pas besoin de démissionner. Il doit déléguer. S’il ne le fait pas, il est responsable pénalement. »
Que se passe-t-il maintenant ?
Les habitants ont lancé une pétition en ligne : « Rendez-nous notre maire, ou nommez-en un autre ». Plus de 1 200 signatures en trois semaines. Le conseil départemental a annoncé qu’il « examine les options légales », mais sans préciser de calendrier. Une réunion d’information est prévue le 10 décembre à la salle des fêtes. On attend des réponses. Mais personne ne sait si le maire reviendra un jour.
Le village, lui, continue d’attendre. Les enfants vont à l’école. Les vieillards prennent leurs médicaments. Les routes se dégradent. Et dans le bureau du maire, le téléphone sonne encore — mais personne ne répond.
Frequently Asked Questions
Pourquoi le préfet n’a-t-il pas encore agi ?
Le préfet ne peut intervenir qu’après une plainte formelle ou une constatation d’absence prolongée. Ici, aucune procédure n’a été engagée, faute de plainte écrite ou d’alerte officielle du conseil municipal. Les élus restent dans l’attente, craignant les représailles politiques. Sans preuve claire de négligence, l’État hésite à entrer en conflit avec un élu populaire.
Le maire peut-il être destitué sans démission ?
Oui. Si une enquête administrative établit un abandon de fonctions pendant plus de six mois, le tribunal administratif peut prononcer sa destitution. Il faut alors une instruction menée par le préfet, avec auditions et preuves. Ce processus peut prendre jusqu’à 9 mois. En attendant, un adjoint peut être désigné en tant que délégué, mais seulement si le conseil vote à la majorité — ce qui n’est pas encore arrivé ici.
Pourquoi Tahiti ? Y a-t-il un lien avec les finances communales ?
Les communes françaises ont investi plus de 64 milliards de francs en Polynésie entre 2020 et 2025 pour des projets de développement. Certains élus y ont des partenariats privés, notamment dans le tourisme ou l’immobilier. Si ce maire a des intérêts financiers là-bas, il pourrait violer les règles de déontologie. Mais sans preuve, cela reste une hypothèse. Le ministère des Outre-mer surveille les flux financiers, mais pas les comportements individuels.
Les habitants peuvent-ils élire un nouveau maire avant la fin du mandat ?
Non. Les élections municipales ne peuvent avoir lieu que tous les six ans, sauf en cas de démission, décès ou destitution. Même si le maire est déclaré en abandon de fonction, il faut attendre la décision judiciaire, puis organiser des élections partielles — un processus long, coûteux et rare. Les habitants doivent donc patienter jusqu’en 2026, sauf si l’État prend une mesure exceptionnelle.
Est-ce un phénomène courant en France ?
Pas à ce niveau d’absence totale. Mais des maires partent en vacances prolongées, gèrent des entreprises à l’étranger ou se retirent progressivement. L’AMF recense environ 15 cas par an d’absences suspectes, mais seulement 2 à 3 aboutissent à une sanction. La plupart des villages sont trop petits pour mobiliser l’attention nationale — jusqu’à ce que les services s’effondrent.